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25 août 2018

Marx et la religion : pas d'embrouillamini !

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C'est entendu, Marx était athée.

C'est entendu, sa conception de la religion -même dans ses années de formation- était bien plus dialectique que celle qui lui est imputée par des commentateurs pressés. La complexité du phénomène religieux ne peut être réduite à une formule lapidaire ramenant ladite religion à «un opium du peuple» et tel n'a d'ailleurs jamais été le propos simplificateur de Marx [1]

C'est entendu, Marx ne prônait pas l'abolition arbitraire de la religion car c'est la société qui la produit qu'il faut combattre.

 

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Mais la religion n'est pas réservée à des philosophes en mal de discussion spéculative. La religion ne se résume pas à une simple conception de la vie et de la mort, à laquelle on adhère ou que l'on conteste. La religion n'est pas seulement une croyance parmi d'autres, au même titre que les croyances en la réincarnation, au Père Noël, à l'existence du Monstre du Loch Ness ou à l'ancrage du PS à gauche.

En réalité, la «fantasmagorie religieuse» [2] est portée et propagée par des institutions (les Eglises, qui disposent de leur propre hiérarchie, leur personnel, leurs richesses, leurs relais au sein de la machinerie étatique, ...) et des millions d'adeptes. Elle est donc une force matérielle bien réelle ; et, face à cette puissance terrestre qui prétend représenter une puissance du ciel, se pose la question de l'attitude à adopter.

Marx n'a pas éludé cette problématique -politique!- car il était avant tout un militant communiste et révolutionnaire agissant, qui ne séparait pas la théorie de la pratique, et dont l'oeuvre était au service d'une classe (ouvrière) et d'un combat (pour l'émancipation humaine). [3]

marx thor.jpgEn fait, Marx  -qui ne fit preuve d'aucune indulgence envers «l'aliénation religieuse»- [4], n'a jamais remis en cause la liberté de conscience de chacun(e) et il défendait des principes relevant de ce que l'on nomme aujourd'hui la laïcité, c'est-à-dire un système d'organisation de la société reposant sur la séparation du temporel et du spirituel, de la puissance publique et des institutions religieuses.

Ainsi, en 1848, Marx, Engels et leurs amis revendiquaient la «séparation totale de l'Eglise et de l'Etat» et exigeaient que «le clergé de toutes les confessions» soit «uniquement rétribué par sa communauté volontaire» [5].

Ainsi, en 1871, Marx appuya les décisions de la Commune de Paris [6]. Dans sa fameuse «Adresse» écrite au nom du «Conseil Général de l'Association Internationale des Travailleurs», il notait -non sans une touche d'humour- ceci : « Une fois abolies l'armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l'ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l'outil spirituel de l'oppression, le pouvoir des prêtres; elle décréta la dissolution et l'expropriation de toutes les Églises dans la mesure où elles constituaient des corps possédants. Les prêtres furent renvoyés à la calme retraite de la vie privée, pour y vivre des aumônes des fidèles, à l'instar de leurs prédécesseurs, les apôtres. La totalité des établissements d'instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et, en même temps, débarrassés de toute ingérence de l'Église et de l'État. Ainsi, non seulement l'instruction était rendue accessible à tous, mais la science elle-même était libérée des fers dont les préjugés de classe et le pouvoir gouvernemental l'avaient chargée » [7].

 

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Bref, même si l'interprétation des phénomènes religieux resta finalement une question «secondaire» dans son existence, ses combats et ses écrits, [8] Marx y fut néanmoins toujours attentif et le vieux barbu ne se fit pas prier pour tancer le Parti ouvrier allemand à ce sujet. Dans sa célèbre Critique du Programme de Gotha [9], il rappela ainsi clairement une position de principe : «chacun doit pouvoir satisfaire ses besoins aussi bien religieux que corporels sans que la police y fourre son nez. Mais le Parti ouvrier devait à cette occasion exprimer sa conviction que la 'liberté de conscience' bourgeoise n'est rien d'autre que la tolérance de toutes les sortes possibles de liberté de conscience religieuse, alors que lui s'efforce de libérer les consciences de la fantasmagorie religieuse. Mais on se garde bien de dépasser le niveau 'bourgeois' (c'est moi qui souligne). [10]

Le matérialiste athée et communiste Marx a parfois fait l'objet de tentatives de «récupération» d'exégètes se réclamant entre autre du christianisme. [11] Il leur appartient évidemment d'utiliser leur liberté intellectuelle comme ils l'entendent et de développer leurs «interprétations» de l'immense travail de l'auteur de Das Kapital. Ce qui démontre au passage toute la force attractive et toute la fécondité de son oeuvre.

 

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D'autres, dans le monde des croyants, n'ont pas hésité à s'engager sur la voie révolutionnaire en s'inspirant de Marx, et en refusant d'abandonner la religion à la réaction. Ce fut par exemple massivement le cas dans le dernier quart du siècle dernier, en Amérique latine [12].

L'occasion de rappeler ici que dans les luttes anticapitalistes personne n'est tenu à justifier ses convictions philosophiques et religieuses, et personne ne devra jamais y être contraint car le rassemblement est essentiel si l'on veut pouvoir gagner les indispensables combats émancipateurs. C'était la position de Marx (et d'Engels), et celle-ci était d'autant plus constante que leurs convictions matérialistes étaient fermes.

Entre Marx et la religion, ni confusion ni aucune obsession de sa part.

Juste une distance critique et une compréhension claire des phénomènes religieux, ancrées dans une réflexion théorique intense, une «pensée en révolution permanente» (Isabelle Garo) et un engagement militant de toute une vie pour bouleverser réellement le monde.

 

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[1] Citons le fameux extrait de texte de manière plus complète : «Le fondement de la critique irréligieuse est : c'est l'homme qui fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme. (...) Mais l'homme, ce n'est pas une essence abstraite blottie quelque part hors du monde. L'homme, c'est le monde de l'homme, l'Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu'ils sont eux-mêmes un monde à l'envers. La religion (...) est la réalisation fantasmagorique de l'essence humaine, parce que l'essence humaine ne possède pas de réalité véritable. Lutter contre la religion c'est donc indirectement lutter contre le monde dont la religion est l'arôme spirituel. La détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, la chaleur d'un monde sans coeur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple.» Karl Marx, Critique du droit politique hégélien, Editions Sociales, Paris, 1975, pages 197-198.

[2] Karl Marx, Critique du programme de Gotha, Les Editions Sociales (GEME), Paris, 2008, page 78.

[3] Soulignons, une fois encore sur ce blog, que Marx n'écrivait pas pour la postérité. Il n'a pas sacrifié sa santé et le bien-être de sa famille pour rédiger Le Capital avec comme finalité une publication future dans la Bibliothèque de la Pléiade ou pour que celui-ci soit lu (et discuté) dans les universités du XXème ou du XXIème siècles ! Marx était pleinement engagé dans son époque pour transformer le monde et souhaitait que le prolétariat s'approprie son opus magnum dans cette perspective...

[4] Une thématique chère à Ludwig Feuerbach qui inspira le jeune Karl avant sa mutation communiste, et sur laquelle il s'appuya pour ses premières analyses politiques et sociales...

[5] «Revendications du Parti Communiste en Allemagne» in Karl Marx, Oeuvres, Economie I, Bibliothèque de la Pléiade, Paris 1972, page 1462. Il s'agit d'un texte imprimé sous forme de tract en mars 1848, et signé de K.Marx, F. Engels, K. Schapper, H. Bauer, J.Moll et W.Wolff.

[6] Décret de 2 avril 1871 voté à l'unanimité du Conseil de la Commune : « La Commune de Paris, Considérant que le premier des principes de la République française est la liberté ; Considérant que la liberté de conscience est la première des libertés ; Considérant que le budget des cultes est contraire à ce principe, puisqu'il impose les citoyens contre leur propre foi ; Considérant en fait, que le clergé a été le complice des crimes de la monarchie contre la liberté. Décrète : Article 1er : L'Eglise est séparée de l'Etat. Article 2 : Le budget des cultes est supprimé. Article 3 : Les biens dits de mainmorte, appartenant aux congrégations religieuses, meubles et immeubles, sont déclarés propriétés nationales. Article 4 : Une enquête sera faite immédiatement sur ces biens, pour en constater la nature et les mettre à la disposition de la nation

[7] Karl Marx, La guerre civile en France, Editions Sociales, Paris, 1972, page 42.

[8] Marx et Engels, fondateurs du matérialisme historique, expliquaient la conscience religieuse par les conditions matérielles de l'existence, et la religion -en tant que reflet de la structure économique de la société- n'était qu'une «idéologie» parmi d'autres idéologies, destinée à disparaître avec la société de classes. Voir à ce sujet : Nguyen Ngoc Vu, Idéologie et religion d'après Marx et Engels, Aubier Montaigne, Paris, 1975.

[9] il s'agit en fait de « commentaires en marge du programme du Parti ouvrier allemand » repris dans une lettre envoyée à Bracke le 5 mai 1875.

[10] Karl Marx, Critique du Programme de Gotha, op cit., page 78.

[11] Voir par exemple : Jean-Yves Calvez, La pensée de Karl Marx, Seuil, Paris, 1956 ; Henri Desroche, Marxisme et religions, PUF, Paris, 1962 ; Jean Guichard, Le marxisme, théorie de la pratique révolutionnaire, Chronique Sociale de France, Lyon, 1976 ; Denis Lecompte, Marx et le baron d'Holbach, PUF, Paris, 1983.

[12] Michael Löwy, Marxisme et théologie de la libération, Cahiers d'étude et de recherche, IIRF, n°10, 1988.

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